Qu’il soit social-démocrate ou stalinien, le mouvement ouvrier européen du 20e siècle a posé la prise du pouvoir suivie du socialisme d’État comme des étapes nécessaires au passage au communisme dès lors considéré comme étant pour (après-) demain. Avec en primes symétriques l’oxymore stalinien d’un passage au communisme par son contraire (la dictature) et la dérive électoraliste social-démocrate. Cet étapisme qui structure la culture militante rencontre les travaux académiques qui dans leur majorité proposent une analyse non dialectique du capitalisme, posé comme « système de domination » avec une seule classe pour-soi, la bourgeoisie : sans lutte de classes donc, puisqu’une telle lutte suppose l’existence de deux classes pour-soi, avec une classe révolutionnaire en capacité d’instituer les prémices du communisme dans le capitalisme.
À partir d’une analyse de la lutte de classes restituant les éléments de « déjà-là communistes » conquis en France dans le champ du travail (qu’il s’agisse du statut des travailleurs, de la gestion d’institutions macro-économiques ou du financement de la production), on s’attachera :
à chercher les causes de la défaite du mouvement ouvrier depuis une trentaine d’années dans la cécité tant militante qu’académique sur ces déjà-là communistes, évidemment objets d’une contre-révolution capitaliste (ce qu’on appelle par légèreté analytique le « néo-libéralisme ») partiellement victorieuse faute que ces déjà-là soient actualisés et généralisés dans la lutte de classes ;
et à proposer ce que pourraient être cette actualisation et cette généralisation sur trois terrains : le salaire comme droit politique, l’avance en salaire comme seul préalable à la production, la mise en sécurité sociale des productions.
C’est un rendez-vous, vendredi le 20 octobre dès 14h00 à la Salle A-5020 du Pavillon Hubert-Aquin à l’UQAM.
Le 15 mai 2023, âgée de 92 ans, Maria Mies nous a quittés. Auteure peu connue du public francophone, ses travaux ayant tardé à être traduits dans cette langue, Maria Mies est pourtant une figure importante du féminisme allemand.
Se réclamant de l’écoféminisme, Mies défend des idées très proches de celles véhiculées par la décroissance. De par sa critique radicale de la technique, entre autres, Maria Mies est une précurseure incontournable du mouvement décroissanciste.
Polémos vous invite donc à (re)découvrir cette grande militante et sociologue dont la pensée et l’œuvre sont on ne peut plus d’actualité. Pour ce faire, nous vous suggérons l’écoute de Patriarcat et capitalisme selon Maria Mies, une série de 13 épisodes brillamment présentée par Gwladys sur la balado de floraisons. Cette série « explore en détail le livre Patriarchy and Accumulation on a world scale : Women in the International Division of Labour écrit par Maria Mies et publié pour la première fois en 1986. Ce livre est le premier à présenter de manière claire et articulée comment le patriarcat puis le capitalisme sont ancrés dans l’exploitation de la nature, des femmes et des colonies1https://floraisons.blog/patriarcat-et-capitalisme-selon-maria-mies/. »
Les Éditions Entremonde prévoient de publier une traduction française de Patriarchy and Accumulation on a world scale au début de l’année 2024.
Dimanche le 7 mai 2023 de 13h à 15h, dans le cadre des Activités Sciences-moi! organisées par l’ACFAS, le professeur et chercheur Yves-Marie Abraham donnera une conférence au Jardin botanique – Auditorium Henry-Teuscher.
Cette activité La décroissance, c’est maintenant! sera l’occasion de découvrir ce courant de pensée, et notamment ses principales propositions. L’exposé du professeur Yves-Marie Abraham sera suivi d’une discussion avec le public.
détails de l’événement
« Il faudrait cesser de mettre au centre de notre société ce souci de produire toujours plus, et ce souci-là, il est au fondement même de l’entreprise capitaliste. » Yves-Marie Abraham
Nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre qu’il n’y aura pas de « développement durable » et à envisager la « décroissance » comme seule manière d’arrêter la catastrophe en cours. Mais que porte ce mouvement et courant de pensée aux visages multiples? Car le problème que pose la course à la croissance illimitée n’est pas seulement qu’elle détruit ce qui rend nos vies possibles, c’est aussi qu’elle nous éloigne sans cesse davantage de la liberté et de l’égalité qui nous ont été promises.
Le mercredi 26 avril à 14h30 (heure de Montréal), la Commission Internationale du parti politique français Génération Écologie recevra Yves-Marie Abraham pour une audition publique intitulée « Le mouvement de la décroissance au Québec ».
Détails de l’événement
Il faut remonter à 2007 pour voir les débuts du mouvement de la décroissance au Québec. L’impulsion donnée par les premières militantes et militants fait naître le Mouvement québécois pour une décroissance conviviale (MQDC). Celui-ci publie la même année un manifeste et organise un premier colloque : « Sortir de l’impasse : la décroissance ? ».
Depuis, le mouvement pour la décroissance se poursuit au Québec dans les milieux universitaires et politiques, et tente de rassembler autour de manifestations culturelles et festives.
Génération écologie est le parti politique de l’écologie intégrale démocratique.
Il rassemble les Terriens qui veulent rompre avec le système politique actuel pour placer l’écologie au centre de toutes les décisions démocratiques, dans tous les domaines, afin de construire une société résiliente qui respecte les limites planétaires.
Fondé en 1990, Génération écologie est un des partis à l’origine de l’émergence de l’écologie politique en France. Depuis septembre 2018, il est présidé par Delphine Batho, animé par une nouvelle équipe et a renouvelé ses orientations.
Face à l’effondrement du vivant et à la destruction de tout ce qui rend la planète habitable pour l’espèce humaine, notre ambition est d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire politique pour construire une écologie populaire, libre et indépendante des anciens appareils partisans, en vue de conquérir et de transformer l’exercice du pouvoir avec les citoyens.
Dans le cadre du 90e congrès ACFAS, sous la coordination de Yves-Marie Abraham, Polémos tiendra un colloque sur La décroissance et la question du « comment ? ». L’engouement pour le sujet et le nombre de propositions de communications de grande qualité ont rendu possible une programmation riche et variée sur deux journées complètes, soit les 11 et 12 mai 2023.
La couverture médiatique autour de la récente expérience de fusion nucléaire a été quasi unanime : il s’agirait d’une avancée cruciale vers une solution miracle au problème énergétique et à la crise environnementale (la technologie de la fusion nucléaire promettant une énergie à bas prix, abondante et sans déchets radioactifs).
À notre connaissance, à part quelques réserves sur la portée technique de l’expérience et certains bémols sur le plan écologique, aucune critique n’a été faite pour questionner non seulement l’espoir d’une source d’énergie infinie, mais les répercussions qu’une telle abondance aurait sur le monde.
Nous demeurons pourtant prudent·es face au rôle salvateur trop prestement attribué à la technologie – à toute technologie.
Le miracle serait pour demain, mais le problème est aujourd’hui
Présenter chaque avancée, aussi indéniable soit-elle, comme l’avènement du prochain miracle énergétique procède d’un emballement médiatique évident. Le développement de toute technologie de pointe est en effet un processus industriel lent et laborieux aux innombrables étapes. L’expérience de fusion nucléaire réalisée l’an dernier devra être répliquée et validée par la communauté scientifique avant qu’on puisse affirmer qu’elle apporte quelque chose de substantiel.
Dans le contexte de la crise environnementale, les technologies nucléaires sont présentées comme des sources d’énergie peu émettrices de gaz à effet de serre (GES) comparées aux énergies fossiles comme le charbon, le pétrole ou le gaz.
Mais comme le dernier rapport du GIEC nous le rappelle, la réduction des GES doit être drastique et immédiate si nous voulons limiter les dégâts associés à la déstabilisation du climat et éviter l’atteinte de seuils dont le dépassement implique des conséquences dramatiques et irréversibles pour les écosystèmes dont nous dépendons de manière vitale. Or, l’horizon de disponibilité de la fusion nucléaire comme source de production d’électricité reste lointain – on parle de plusieurs dizaines d’années –, en plus d’être incertain.
Une transition depuis les énergies fossiles vers la fusion est donc techniquement hors de propos, alors qu’il s’agit de diminuer le recours aux énergies fossiles dès aujourd’hui. Cela implique de procéder avec les moyens déjà à notre disposition.
Dans ce contexte, répéter que le miracle arrive peut s’avérer contre-productif alors que nous avons besoin d’une mobilisation large et rapide.
La fusion avance grâce au complexe militaro-industriel L’expérience novatrice de l’an dernier a été conduite sous l’égide de la National Ignition Facility (NIF) pour le compte de la National Nuclear Security Administration (NNSA), qui est l’organisme chargé de la gestion du stock d’armes nucléaires des États-Unis. Cette avancée n’est donc aucunement le fait de recherches en rapport avec la problématique énergétique, et encore moins écologique. C’est un intérêt avant tout militaire qui est à l’œuvre ici. Sa reformulation systématique dans les termes d’un débat énergétique ayant une acceptabilité sociale plus grande procède d’un positionnement avant tout politique plus que technique et nous impose par conséquent la plus grande prudence.
Une énergie infinie dans le meilleur des mondes, vraiment?
Imaginons quand même un monde plein de promesses disposant d’une énergie décarbonée et abondante, tel que plusieurs médias et journalistes le font miroiter. Est-ce vraiment ce que nous souhaitons?
La protection de l’environnement au-delà du climat : les neuf limites planétaires
Des études scientifiques identifient neuf limites planétaires dont le dépassement mettrait en péril les conditions de vie sur Terre : le dérèglement climatique, la destruction de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’artificialisation des sols, l’acidification des océans, la non-potabilité de l’eau, l’appauvrissement de la couche d’ozone, la pollution et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.
Rappelons que six de ces limites sont déjà franchies, et qu’au mieux, l’énergie nucléaire ne peut agir que sur deux d’entre elles, soit les changements climatiques et la pollution.
Crédit : Azote for Stockholm Resilience Centre, sous licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia commons.
Le dépassement de ces limites est causé par les activités humaines en quête de croissance perpétuelle du PIB. Ces activités sont elles-mêmes rendues possibles par une disponibilité croissante en énergie. Il va donc sans dire qu’une énergie quasi infinie serait dévastatrice.
Cela impliquerait l’expansion du parc de machines occupées à artificialiser le monde, ainsi qu’une extraction minière accrue, avec leur lot inévitable de dommages.
Tout cela nous rapprocherait plus sûrement d’un dépassement généralisé des limites planétaires, potentiellement fatal.
En ce sens, le principal obstacle à une utilisation soutenable de l’énergie, c’est avant tout une énergie abondante.
L’abondance sans conscience
La quête de croissance perpétuelle des biens et services, nourrie par les espoirs d’une source d’énergie infinie, ne pose pas uniquement un problème écologique. Cette quête est aussi fondamentalement injuste et aliénante, comme le rappelle l’approche de la décroissance.
Qu’est-ce que la décroissance? La décroissance est un mouvement politique né au début des années 2000 en réponse à l’idéologie du développement durable, dont les propositions sont jugées insuffisantes sur le plan environnemental et problématiques sur les plans des inégalités sociales, de la démocratie et de l’aliénation par l’économie et la technique. La décroissance vise à faire émerger une société plus soutenable, plus juste et plus émancipatrice, un projet démocratique pouvant se résumer par « produire moins, partager plus et décider ensemble » (Abraham, 2019).
Nous vivons déjà dans une période historique d’abondance d’un point de vue énergétique, sans empêcher que des conditions de vie indignes pour un très grand nombre côtoient un train de vie écocidaire pour d’autres. Les jeux de domination multiples (capitalisme, sexisme, racisme, spécisme, etc.) organisent la répartition inégale de ce qui est produit.
Plus d’énergie ne sera donc pas une réponse efficace à la précarité énergétique, tout comme plus de croissance n’est pas la solution à la pauvreté économique – c’est plutôt son fondement.
Or, tout combat pour l’équité ne peut passer que par une forme de démocratie, ce qui implique de pouvoir comprendre les outils et technologies qui nous entourent et dont nous dépendons pour satisfaire nos besoins fondamentaux. L’expertocratie que suppose le nucléaire est incompatible avec une maîtrise citoyenne des enjeux.
L’exclusion systématique des communautés locales et de la société civile des cercles de décisions concernant les questions énergétiques et économiques n’est pas anecdotique. Elle est une des conséquences de la complexification de nos vies, notamment par la division du travail, organisée dans l’objectif de croissance.
Dépossédé·es de notre pouvoir de décision et donc de notre autonomie, nous nous transformons en rouage d’une mégamachine qui détruit et opprime à cause de nous, mais malgré nous.
Ainsi, nous nous trouvons embarqué·es dans une fuite en avant technologique, où la technologie de demain devient la solution au problème généré par la technologie d’aujourd’hui. Les technologies, dont l’intelligence artificielle est l’un des derniers avatars, sont ainsi de plus en plus interdépendantes et omniprésentes, elles érodent notre autonomie et nous déresponsabilisent en mettant à distance les effets de leur utilisation (sur les autres, sur d’autres pays, sur les générations futures, etc.).
Que retenir?
Bien que la perspective d’une solution technologique miraculeuse puisse être séduisante, il est important de prendre du recul et d’en considérer les limites avec honnêteté et rigueur.
La qualité des informations disponibles dans les médias est cruciale pour un débat public éclairé et que nos bonnes intentions ne servent pas malgré nous à paver cet enfer que personne ne dit pourtant souhaiter.
Si nous prenons au sérieux les idées de liberté, d’égalité et de soutenabilité de notre société, comme le fait le mouvement pour la décroissance, alors nous devons dès à présent sortir de la course en avant technologique pour aspirer enfin à un monde vivable et enviable.
Étonnamment peu connu, Alexander Grothendieck (1928-2014) fut l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Secoué par la guerre du Vietnam, puis par la découverte du financement partiel par des fonds militaires de l’institut de recherche au sein duquel il travaillait, Grothendieck quittera sa prestigieuse institution. Avec «Survivre… et vivre», un mouvement de scientifiques critiques qu’il fonde en 1970 à Montréal, il initiera une profonde critique du complexe scientifico-militaro-industriel, qui a constitué l’une des sources d’inspiration importantes de la décroissance. Cette brève présentation nous invitera à nous poser la question on ne peut plus d’actualité formulée par Alexander Grothendieck : « Allons-nous continuer la recherche scientifique? »
André Gorz (1923-2007) fut l’un des précurseurs incontestés de la décroissance et l’un des premiers auteurs à utiliser le terme même. Cet intellectuel français d’origine autrichienne a contribué à conscientiser toute une génération aux enjeux de l’écologie notamment par sa chronique, publiée sous le pseudonyme Michel Bosquet, dans Le Nouvel Observateur au cours des années 1970. Dans son long parcours, ce socialiste libertaire antiproductiviste a abordé à peu près tous les grands thèmes de la décroissance et s’est consacré à analyser les impasses du capitalisme ainsi que la nécessité impérieuse de limiter l’emprise toujours grandissante du marché sur la société. Nous discuterons de plusieurs aspects clés de son œuvre tel que ses idées sur l’autolimitation des besoins, la réduction du temps de travail, le revenu universel, et les réformes révolutionnaires.
Moins connu par son nom que par ses idées, Ernst Friedrich Schumacher n’en est pas moins un précurseur majeur de la décroissance. D’économiste en chef pour l’autorité britannique du charbon à théoricien de l’économie bouddhiste, Schumacher surprend autant par son parcours de vie, que par son regard acéré et critique sur le progrès industriel, la « violence de l’économie », le monde du travail et les technologies. Que recouvre son souhait d’une « société à la mesure de l’homme »? Qu’entend-il vraiment par le concept « Small is beautiful », son ouvrage éponyme (1973)?
Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) est un mathématicien et économiste qui appela à une réforme profonde de la science économique. Il travailla à y intégrer les enseignements de la thermodynamique et de la biologie, en tant que disciplines décrivant des processus et des contraintes indépassables et qui s’imposent par conséquent à toute activité humaine. Nous explorerons les principaux concepts, apports, et questionnements mis en avant par ses travaux, pour mieux comprendre comment ceux-ci sont devenus l’une des ressources théoriques des objecteurs de croissance.
Encore peu connue du grand public, Simone Weil (1909-1943) est l’une des premières philosophes à avoir travaillé en usine et à s’intéresser de près au « vécu » des ouvriers et ouvrières. Ses écrits et son engagement militant font d’elle un personnage incontournable pour « penser » la décroissance. À travers quelques éléments de son parcours biographique et la présentation d’un de ces ouvrages : Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale (1934), nous tenterons de démontrer en quoi, il est pertinent de la redécouvrir aujourd’hui.
Cette seconde partie de séance portera sur la vie de Günther Anders et quelques raisons de son refoulement académique et de son pillage. Seront présentés par ailleurs les principaux concepts de Gunther Anders en lien avec l’omniprésence contemporaine de la technique et de ses illusions : le décalage prométhéen, la honte prométhéenne, la technique supraliminaire. Enfin, il sera question des raisons pour lesquelles, selon Anders, il est si difficile d’espérer sortir des sociétés de croissance.