par Josée Provençal
L’audace aurait voulu que le gouvernement du Québec prenne à bras le corps la crise climatique qui menace notre oikos, pourtant il n’en est rien. Tout au plus, le plan pour une économie « verte » présenté le lundi 16 novembre dernier par le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charrette, et le premier ministre François Legault n’est qu’une poursuite du « business as usual »,en version électrique.
Je vous invite donc à me suivre dans une critique décroissanciste du plan économique « vert » (PEV) du gouvernement Legault.
Le Québec, se targue le premier ministre Legault, « est l’endroit qui émet le moins de gaz à effet de serre (GES) par habitant [parmi tous les États américains et toutes les provinces canadiennes]», soit 9,5 tonnes équivalentes CO2. Il est vrai qu’à l’échelle nord-américaine, les Québécois•e•s ont un faible taux d’émission par habitant en raison de l’importance de l’hydroélectricité. Encore est-il que ce bilan ne tient pas compte des émissions importées. Il est facile d’être « excellent » quand on se compare aux derniers de classe et, dans le cas échéant, à l’Amérique du Nord. Lorsque l’on se compare au reste du monde (voir figure 1), force est de constater que l’étoile du Québec pâlit.
Figure 1 – Émissions de CO2 par habitant·e, par pays (2017). Source: OWID based on CDIAC; Global Carbon Project; Gapminder & UN : https://ourworldindata.org/co2-emissions
Le temps est venu que le gouvernement québécois se regarde franchement dans le miroir et cesse de se faire croire qu’il est « vert ». L’hydroélectricité ne nous permettra pas d’atteindre, à elle seule, notre cible de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, soit 37,5 % d’ici 2030. La carboneutralité ne sera pas atteinte si nous poursuivons sur la voie de la croissance infinie.
Pas de changement de paradigme |Électrifier la croissance
Le gouvernement du Québec, dans son PEV, mise sur une électrification tous azimuts de l’économie québécoise, du transport (véhicules individuels, transports collectifs, transports de marchandises, bornes de recharge, notamment), des secteurs agricole, commercial et industriel, en passant par l’exportation d’électricité et par l’attraction d’investissements étrangers. Encore une fois, l’économie reste au centre de toutes actions et la quête pour la croissance se poursuit, et ce, sans aucune remise en question de notre mode de vie axé sur une croissance perpétuelle. Ceci ne change absolument rien aux inégalités sociales et entraîne la destruction de notre environnement. Le plan du gouvernement Legault tel que présenté est insuffisant pour atteindre la cible de réduction de 2030.
Qu’il s’agisse de développement durable, d’économie circulaire ou de croissance « verte », l’objectif est toujours le même : assurer la croissance du produit intérieur brut (PIB). Voilà l’objectif de l’État, et le gouvernement Legault le démontre bien. Il n’est aucunement question de contraindre l’industrie ou les comportements. Cette foi inébranlable dans une « prospérité matérielle possible pour tous et respectueuse de l’environnement […], reste intacte».
Par exemple, le refus du gouvernement d’implanter des mesures contraignantes, notamment sur les véhicules utilitaires sport (VUS) afin d’en dissuader l’achat, envoie un bien mauvais message aux usager•e•s et à l’industrie. Les Québécois•e•s pourront donc continuer sur leur lancée en faisant croître le nombre de ces véhicules plus polluants que les véhicules légers, et les constructeurs poursuivront sur leur lancée avant de passer au tout électrique. En somme, il faut comprendre le message du gouvernement comme ceci : « ne changez rien ». Aucun incitatif n’est prévu pour réduire l’autosolo, de sorte que l’on doit interpréter qu’à partir de 2035, lorsque les voitures à essence neuves seront interdites, nous aurons le même parc-autos, sinon plus important, qui progressivement passera au tout électrique.
L’électricité à tout vent c’est bien beau, mais ça ne nous sort pas de la logique extractiviste. Évidemment, plusieurs en appelleront au découplage qui veut qu’en reconfigurant le principe de production et de conception des biens et services, il soit possible que la croissance économique dépende moins de la consommation des ressources naturelles. Il demeure que plusieurs études,, démontrent que notre dépendance à la croissance rend impossible ce découplage. Cette croissance, qui au XIXe siècle laissait présager plus de libertés, d’allègement du labeur et de perspectives d’enrichissement pour les sociétés coloniales occidentales, est devenue de plus en plus insoutenable au fil du XXe siècle, pour en arriver, en ce début de XXIe siècle à une situation globalement intenable.
La technologie et la transition | Miroir aux alouettes
Le Québec a la chance de compter sur une production d’électricité « propre », mais il demeure que notre hydroélectricité n’est pas sans conséquence sur notre milieu de vie (harnachement des rivières) et sur les populations qui habitent le territoire (autochtones et allochtones). Passer de la voiture à essence à la voiture électrique, bien qu’elle réduirait la dépendance à l’importation d’énergies fossiles, n’est pas sans conséquence.
Le gouvernement du Québec vise, dans les prochaines années, à développer ce qu’il appelle la filière batterie. Cette filière vise à « exploiter et transformer les minéraux du territoire québécois pour fabriquer des composants de batterie, comme des anodes et des cathodes » afin de produire localement des véhiculent électriques en plus de développer le recyclage des dites batteries. La production de ces batteries s’appuie sur l’extraction de minerais (cobalt, lithium, nickel, manganèse, graphite, bauxite, etc.) qui au Québec, comme dans les pays du Sud, ont des impacts dévastateurs sur l’environnement (contamination du sol et de l’eau, montagne de résidus, perte de biodiversité), et c’est sans parler des conséquences sociales et sanitaires (déplacement de population, précarité, exploitation, contamination des sources d’eau potable, morts et blessés dans les mines, etc.).
En plus des enjeux environnementaux et sociaux liés à la voiture électrique, nous pouvons nous questionner sur la capacité technologique à atteindre le 100 % électrique d’ici 2035. La production de batterie n’arrive pas à suivre le rythme de progression attendue, parce que contrainte par l’approvisionnement en ressources. En effet, l’industrie minière ne suffit pas à la tâche ce qui entraîne des retards quant aux projets d’usines de batteries qui doivent attendre que les ressources soient disponibles. Il n’est donc pas très surprenant, face à ce constat, de voir l’industrie de l’automobile promouvoir l’hydrogène, consciente qu’elle ne pourra pas, à cause des contraintes évoquées, fournir toutes ces voitures électriques dans les délais voulus.
Chez les partisans de la croissance « verte », cette électrification des transports à 100 % est possible dans un horizon de neuf ans (2030) et si nous n’y arrivons pas c’est forcément que la volonté politique n’aura pas été suffisante pour être menée à terme,. Il demeure que la solution technologique ne nous sauvera pas. La nécessité de faire appel à des ressources rares, que ce soit pour la production des voitures électriques et de leurs batteries ou encore pour le déploiement des énergies renouvelables (solaire, éolien, bioénergies, a, nous l’avons déjà dit, des conséquences environnementales et sociales importantes. L’usage et le déploiement de hautes technologies rendent leur recyclage complexe de par la diversité et la complexité des matériaux qui les composent, sans compter la quantité d’énergie nécessaire à l’extraction et au raffinement de ces métaux, rendant cette technologie peu accessible.
La technologie ne sera pas suffisante pour entraîner une transition. Il faut engendrer un changement de paradigme qui devra être juste et équitable pour tous. Il faut revoir la consommation et la croissance et envisager la décroissance. Il faut questionner nos besoins, réduire à la source, lorsque possible, la ponction en ressources et la pollution qui l’accompagne et ainsi décroître la quantité d’énergie et de matières consommées, en plus de travailler à réduire la demande plutôt que de simplement remplacer l’offre d’énergies fossiles par celle de l’électricité.
Ambition et expertises
Alors que le gouvernement Legault nous présente sa vision pour réussir la « transition climatique », un terme ambigu sur lequel je reviendrai dans un prochain article, force est de constater que ce dernier est loin d’être suffisant pour atteindre la cible fixée, d’autant que les mesures évoquées ne combleront que 42 % des objectifs de réduction de GES pour 2030.
On peut donc douter de la réelle volonté du gouvernement de mener à bien ce plan, d’autant qu’en conférence de presse, lors de la présentation du PEV, le premier ministre n’a pas voulu trop s’avancer sur le bien-fondé de GNL Québec dans le cadre de ce plan. Il a néanmoins ajouté que le gaz naturel constituait une énergie de transition pouvant remplacer le charbon et ainsi réduire des GES à l’échelle de la planète. Cette affirmation est largement contestée par les experts, ainsi que par l’Union européenne qui a reconnu que le gaz naturel est un obstacle à la transition énergétique.
Le ministre Charrette s’est engagé à faire une reddition de compte et une révision annuelle des éléments du PEV, mais si le premier ministre passe derrière pour couper ces révisions de 50 % comme il l’a fait avec le PEV, à quoi bon consulter les experts?
Le temps n’est pas notre allié dans notre lutte pour le climat. De plus, acheter des crédits carbone à la Californie est loin d’être une solution gagnante pour le futur environnemental du Québec. Copier sur notre voisin de classe, la Californie, nous fera peut-être réussir un examen, mais ne nous permettra pas d’obtenir notre grade (cible 2030).
Dans les années 1960, le Québec a eu l’ambition de nationaliser son hydroélectricité. Aujourd’hui, s’il veut poursuivre sur cette lancée et se démarquer, il en a la capacité, mais à la condition sine qua non de revoir fondamentalement notre mode de vie collectif. Le business as usual, même électrique, ne nous sauvera pas. Dans la perspective de la décroissance, l’un des axes de solution est d’abord et avant tout la réduction des transports, ce qui suppose de commencer à organiser nos vies tout autrement. C’est l’obligation de se déplacer frénétiquement et de transporter tout ce qu’il nous faut pour vivre qui doit être remise en question.