Notre vision de la décroissance
Le Québec constitue en Amérique du Nord l’un des principaux foyers de réflexion sur le thème de la « décroissance soutenable » ou « conviviale ». Dès le milieu des années 2000 en effet, des militants et des universitaires ont commencé à y mener des recherches et à publier sur ce sujet. Polémos est né de la volonté de consolider ce travail et de le pousser plus loin, pour faire valoir avec davantage de force l’idée de décroissance dans l’espace public, ainsi que dans le monde de la recherche.
Nous soutenons qu’il est urgent de cesser de viser dans nos sociétés et à l’échelle du globe une croissance économique illimitée, pour au moins trois grandes raisons :
- Cette course à la croissance est proche d’être stoppée par les limites biophysiques planétaires, ce qui risque de se traduire par des crises en tous genres, bien pires encore que celles que nous connaissons. La croissance économique s’est toujours accompagnée d’une dégradation de notre planète sur le plan écologique. Et tout laisse penser qu’il en sera de même à l’avenir, quelles que soient les moyens que nous mettrons en œuvre pour ce faire. La croissance verte est un mythe dangereux.
- Au moins dans les pays les plus riches, la croissance économique de ces dernières décennies a cessé de tenir ses promesses en termes d’amélioration du bien être du plus grand nombre. Seule une petite minorité d’humains en ont véritablement bénéficié, mais au dépend de la grande majorité de leurs contemporains, des générations futures et des autres êtres vivants. La course à la croissance repose sur des rapports d’exploitation entre humains, ainsi qu’entre humains et autres qu’humains.
- La croissance économique vertigineuse des deux derniers siècles a impliqué que nos sociétés et nos vies individuelles soient gouvernées par des impératifs économiques et techniques sur lesquels nous n’avons pas de prise. Ce qui ne devait constituer qu’une série de moyens à notre service tend toujours plus à devenir une fin en soi. Au mépris de l’idéal démocratique qui est censée être le nôtre, la quête de croissance nous transforme en simples rouages d’une « mégamachine » totalitaire.
La quête de croissance économique n’est pas cependant une simple lubie de nos dirigeants politiques et économiques. Nos sociétés, telles qu’elles sont conçues à l’heure actuelle, ont besoin de croissance pour se reproduire. Rompre avec cet impératif implique donc une transformation profonde de nos manières de vivre ensemble.
Trois principes fondamentaux doivent orienter selon nous la transition vers des sociétés post-croissance. Il nous faut :
- Produire moins – Il n’y a jamais eu de découplage entre la croissance économique et ses répercussions sur le plan écologique. Et rien ne permet de penser que cela puisse être le cas à l’avenir, surtout pas dans les délais dont nous disposons. La seule manière de mettre un terme au désastre écologique en cours est donc de produire moins qu’on ne le fait actuellement et de fixer des limites à la quantité d’énergie et de matière que nous transformons pour subvenir à nos besoins. Nous refusons à ce titre le solutionnisme technologique.
- Partager plus – Une réduction de la production dans des sociétés profondément inégalitaires serait intolérable pour celles et ceux qui n’ont déjà pas de quoi vivre dignement. Cette réduction doit donc s’accompagner inévitablement d’une redistribution de nos moyens d’existence, non seulement entre les plus riches et les autres, mais aussi au profit des êtres vivants non-humains qui peuplent cette planète.
- Décider ensemble – Ces impératifs de réduction de la production et de redistribution de nos moyens d’existence ont d’autant plus de chances d’être mis en œuvre qu’ils seront voulus par les populations concernées. Il faut donc, autant que faire se peut, décider ensemble des limites de ce qui sera produit et de la manière dont nos richesses seront partagées. Une démocratisation radicale de nos sociétés qui prend en compte les rapports de pouvoir et de domination intersectionnels s’impose donc également.
Polémos se propose à la fois d’approfondir l’analyse critique de nos « sociétés de croissance » et d’explorer les voies par lesquelles bâtir des « sociétés post-croissance ». Il offrira dans l’espace public un contre-discours aux propositions politiques fondées sur la poursuite de notre modèle de société, telles que le développement durable, la croissance verte, l’économie circulaire, le technocratisme et l’écomodernisme.