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Renoncer aux technologies zombies

Par Philippe Gauthier, texte présenté dans le cadre d’une table de discussion au Front Commun Pour la Transition Énergétique, le 16 juin 2021

« Steampunk ». Crédit : floorvan – Photo sous licence CC BY-SA 2.0

Celles et ceux qui sont familier.e.s avec les idées de la décroissance savent déjà que celle-ci pose un regard très critique sur la technologie. En plus de favoriser la croissance et, par conséquent, la destruction du monde naturel, la technologie facilite la domination de groupes humains par d’autres et augmente la dépendance de chaque individu envers divers systèmes qui restreignent son autonomie.

En dépit de ces critiques énoncées depuis longtemps, la plupart des plans de transition écologique font un grand appel à la technologie. La solution aux problèmes provoqués par les systèmes techniques existants passe invariablement par plus de technique et par plus de croissance pour financer des solutions toujours plus complexes et plus coûteuses. Un parc de panneaux solaires émet moins de CO2 qu’un puits de pétrole, mais il revient beaucoup plus cher et il consomme plus de ressources.

Notre vision de l’avenir est remplie de technologies qui nous promettent un avenir radieux. En 1960, on nous promettait des voitures volantes, des robots ménagers et des bases sur la Lune. En 2020, on nous promet des voitures non polluantes, des villes intelligentes et des bases martiennes. L’imaginaire n’a pas beaucoup changé. Et comme celui de 1960, l’avenir de 2020 a peu de chances de se réaliser, parce qu’il se heurte de manière encore plus pressante qu’avant aux limites physiques de la planète.

Ces visions d’avenir ne sont pas modernes et d’avant-garde : elles sont démodées et anachroniques par rapport aux réalités de notre monde. Elles ont été élaborées à une époque où les ressources minérales et énergétiques limitées n’étaient pas un souci. La majeure partie de ce monde ne verra jamais le jour et la partie qui existe aujourd’hui est vouée à disparaître. Il s’agit donc de technologies déjà mortes, mais qui envahissent le monde de manière exponentielle, aux dépens de la nature et des humains. Ce sont des « technologies zombies », pour reprendre le terme du physicien belge José Halloy.

Un téléphone intelligent, par exemple, contient une grande variété de métaux non renouvelables qui représentent ensemble 63 % du tableau périodique des éléments. Cet appareil sera utilisé pendant 21 mois en moyenne, après quoi il deviendra un déchet essentiellement non recyclable, qui échappe aux cycles naturels et qui durera des milliers, voire des millions d’années. Le téléphone intelligent envahit pourtant tous les aspects de nos vies et il est devenu difficile de s’en passer. Sous sa forme actuelle, il est l’exemple parfait d’une technologie zombie.

Le coût écologique direct n’est pas le seul prix à payer pour les technologies zombies. Les accepter, c’est aussi accepter le système technique plus large qui en découle ou qui les rend possible. Accepter la voiture électrique, par exemple, c’est aussi accepter des villes largement asphaltées, les problèmes de cohabitation avec les cyclistes et le bruit. C’est aussi accepter une activité minière polluante, qui se fait en dépossédant des populations pauvres de leur territoire.

De la même façon, accepter le téléphone intelligent, c’est aussi accepter les antennes 5G omniprésentes et le fait que le travail envahit tous les aspects de notre vie, avec le stress qui vient avec. Accepter l’intelligence artificielle, c’est aussi accepter la société de surveillance qu’elle facilite.

L’avenir que nous promettent les technologies zombies est un futur obsolète, qui est promis à la ruine avant même d’avoir été construit. L’un de nos objectifs comme militants doit être de résister à l’appel des futurs obsolètes et d’attirer l’attention des décideurs sur leur caractère à la fois non durable et aliénant. Il ne suffit pas de nous reconnecter avec la nature. Il faut aussi aider celles et ceux qui sont empêtré.e.s dans des rapports de dépendance à des infrastructures condamnées à s’en extraire.