Par Florent Bègue
Cellule d’hydrogène. Crédit : Joseph Brent – photo sous licence CC BY-SA 2.0
Face aux conséquences économiques d’une crise sanitaire mondiale sans équivalent, de nombreux gouvernements ont mis sur pied des plans de relance exceptionnels dont l’un des piliers est la transition énergétique. L’ambition affichée est de tout mettre en œuvre pour honorer leurs engagements de décarbonation pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat1Par suite de la COP 21 de 2015, 195 pays ont ratifié cet accord contenant, entre autres décisions, l’objectif de maintenir d’ici 2100 le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». tout en stimulant leur croissance.
Si les stratégies et les montants alloués diffèrent, un élément revient de manière récurrente, comme avenue privilégiée vers un monde « bas-carbone » : l’hydrogène. Il semblerait que les propriétés de rupture que l’on prête à ce gaz fassent l’objet d’un consensus international, servant de base aux dirigeants politiques et aux industriels pour dessiner aux citoyens les contours d’un monde post-pétrole.
Or, lorsque l’on se penche sur les différentes conventions et accords internationaux depuis le sommet de Rio (1992) il apparaît que, sur le sujet de la lutte contre le réchauffement climatique, les consensus soient suffisamment rares pour être soulignés. Alors pourquoi l’habituelle cacophonie fait-elle place à tant de hâte à miser massivement et mondialement sur ce gaz, malgré les échecs des tentatives passées de son déploiement auprès du grand public? L’hydrogène serait-il finalement le « chaînon manquant de la transition énergétique »2Boulanger, V. (8 septembre 2020). « L’hydrogène vert, chaînon manquant de la transition », récupéré de https://www.alternatives-economiques.fr/lhydrogene-vert-chainon-manquant-de-transition/00093364, l’élément de substitution tant espéré des énergies fossiles qui s’épuisent? Comme toutes les solutions « miracles », elle semble cacher une part d’ombre et d’inconnu dont les décideurs semblent s’affranchir, préférant l’utopie cornucopienne au renoncement de la croissance.
UN ENGOUEMENT MONDIAL, FORTEMENT RELAYÉ
En 2019, un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a été l’un des premiers à mettre en exergue l’élan international, politique et économique autour de l’hydrogène. Enjoignant les gouvernements et les investisseurs à en faire « un élément important de notre avenir énergétique propre et sécurisé » (Birol, 2019)3Propos du Dr Fatih Birol, directeur général de l’AIE. Extrait de la présentation du rapport « L’avenir de l’hydrogène : saisir les opportunités d’aujourd’hui » réalisé en 2019, à la demande du Japon, alors à la présidence du G20. Site internet de l’AIE. Récupéré de https://www.iea.org/reports/the-future-of-hydrogen., ce rapport a souligné que les technologies de production étaient matures, indiquant le vaste potentiel de développement de la filière.
Si certains pays comme le Japon, l’Allemagne ou la France avaient déjà manifesté un regain d’intérêt pour l’hydrogène dès le milieu des années 2010, ce rapport semble avoir donné un véritable coup d’accélérateur aux projets. Pour l’illustrer, le plan « hydrogène vert », présenté en 2018 par le ministre français de l’Écologie en place, Nicolas Hulot, prévoyait une allocation de 100 M€ sur 10 ans (environ 150 M $ CAD) pour développer la filière. En 2020, soit seulement deux ans plus tard, l’enveloppe est passée à 7 G€ sur 10 ans, soit 70 fois plus!
La même surenchère est observée dans la majorité des pays, que ce soit ceux du Nord global, mais aussi dans de nombreux pays du Sud global, notamment en Asie (en Chine et Corée du Sud), en Amérique du Sud (Brésil, Chili, Argentine) ainsi qu’au Moyen-Orient, où l’Arabie Saoudite se positionne déjà comme un acteur majeur4Favennec J.-P. (11 mars 2021). « Monde d’après (le pétrole). L’Arabie saoudite a un plan audacieux pour prendre le contrôle du marché à 700 milliards de l’hydrogène ». Récupéré de https://atlantico.fr/article/decryptage/l-arabie-saoudite-a-un-plan-audacieux-pour-prendre-le-controle-du-marche-a-700-milliards-de-l-hydrogene-petrole-revolution-investissements-jean-pierre-favennec, anticipant une raréfaction des ressources pétrolières. Ainsi, les feuilles de route s’accumulent, fixant des objectifs nationaux plus ou moins ambitieux, articulés autour de quatre applications principales : production d’électricité et de chaleur pour les bâtiments, décarbonation de procédés industriels, mobilité et applications « de niche » comme l’alimentation énergétique de sites non connectés au réseau électrique.
En Europe, le développement de la filière est l’un des piliers du Green deal5Pacte vert pour l’Europe (validé le 15 janvier 2020), constitué d’une loi sur le climat et de mesures de subventions pour les projets destinés à la transition énergétique et l’environnement. Environ 470 G€ seront consacré au développement de la filière. voté en janvier 2020, dont l’Allemagne est le principal soutien. De ce côté de l’Atlantique, aux États-Unis, la production d’électricité décarbonée est l’un des axes majeurs de l’Hydrogen Program Plan, document-cadre publié par le Département de l’énergie en novembre 2020, qui met l’emphase sur les nouveaux procédés technologiques permettant de produire de l’hydrogène « bas carbone », notamment à travers un couplage de sa production à des centrales nucléaires6Merlin C. (4 mars 2021). « Le couple nucléaire-hydrogène aux États-Unis, une romance en devenir? » Récupéré de https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/edito-energie/couple-nucleaire-hydrogene-aux-etats-unis-une-romance.
Le gouvernement fédéral du Canada, persuadé du rôle majeur que peut prendre le pays dans le domaine7Guzun V., Drost A. et P. Balabuch (5 février 2021). « Stratégie canadienne relative à l’hydrogène : un cadre ambitieux pour une économie de l’hydrogène prospère ». Récupéré de https://www.blakes.com/perspectives/bulletins/2021/strategie-canadienne-relative-a-l-hydrogene-nbsp; -un-cadre-ambitieux-pour-une-economie-de-l-hydroge, a dévoilé en décembre 2020 un plan stratégique de 1.5 G$8 Ibid., fortement relayé par la presse9Gouvernement du Canada. (décembre 2020). « Stratégie canadienne pour l’hydrogène : Saisir les possibilités pour l’hydrogène ». Disponible https://www.rncan.gc.ca/changements-climatiques/strategie-relative-lhydrogene/23134?_ga=2.230629084.1198298404.1612298868-1880799273.1612298868. Enfin, au Québec, l’hydroélectricité représente un atout stratégique10Roy, J. et M. Demers (2019). La filière de l’hydrogène : un avantage stratégique pour le Québec. Rapport publié par la coalition Hydrogène Québec. Récupéré de https://hydrogene.quebec/pdf/La%20fili%C3%A8re%20de%20l’hydrog%C3%A8ne_un%20avantage%20strat%C3%A9gique%20pour%20le%20Qu%C3%A9bec.pdf dans le développement d’une filière d’hydrogène « vert »11Tanguy P., Fradette L., Chaouki J., Neisiani M., et O. Savadogo (2020). Potentiel technico-économique du développement de la filière de l’hydrogène au Québec et son potentiel pour la transition énergétique – Volet C : Propositions pour le déploiement de l’hydrogène vert au Québec. Rapport préparé pour Transition énergétique Québec. Polytechnique Montréal, 30 p. Récupéré de https://transitionenergetique.gouv.qc.ca/expertises/hydrogene. D’ailleurs, une première action concrète du « Plan pour une économie verte en 2030 » a été d’allouer cette année 15 M$ pour « soutenir des projets d’innovation dans ce domaine »12Ministère de l’énergie et des ressources naturelles (18 janvier 2021). Stratégie québécoise de l’hydrogène vert. « Le Gouvernement du Québec alloue 15 M$ pour soutenir le développement de la filière de l’hydrogène vert ». Récupéré de https://www.newswire.ca/fr/news-releases/strategie-quebecoise-de-l-hydrogene-vert-le-gouvernement-du-quebec-alloue-15-m-pour-soutenir-le-developpement-de-la-filiere-de-l-hydrogene-vert-815893459.html, prémices d’une stratégie plus large dédiée à la question de l’hydrogène « vert » et des bioénergies.
Cet engouement pour l’hydrogène (surtout l’hydrogène « propre ») est bien entendu encouragé par de nombreux lobbies et groupes d’intérêts. Composés d’industriels13Plusieurs groupes sont très actifs. En Europe, on peut citer l’European Clean Hydrogen Alliance, qui réunit deux fois par an ses 1400 membres actuels dans l’European Hydrogen Forum dont le prochain est prévu en juin 2021. Au Canada, l’Association Canadienne du Gaz ainsi qu’Hydrogène Québec sont très actifs sur le sujet, finançant de nombreuses publications. Au niveau mondial l’Hydrogen Council, un lobby créé en 2017 à la suite du 47e forum économique de Davos, comptait à ses débuts 13 membres parmi les plus poids lourds de l’énergie. Il compte en 2021 plus d’une centaine de membres répartis dans le monde entier, principalement des géants industriels (transport, énergie, pétrochimie) et des banques., d’experts scientifiques14On peut évoquer ici plusieurs études récentes de l’International Renewable Energy Agency (IRENA), du Word Energy Council (WEC), des experts scientifiques de l’union Européenne ou encore de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) au Québec. et d’universitaires travaillant en partenariat avec les pouvoirs publics, ils voient en cette énergie du futur une ressource formidable et un excellent moteur de croissance. En effet, « l’économie hydrogène »15Global Shift Institute. (1er mars 2021). « Vers une économie de l’hydrogène ? ». Récupéré de https://www.globalshift.ca/vers-une-economie-de-lhydrogene/ est en forte progression et son potentiel financier, estimé à 700 G$ US par an en 205016 Mathis W. (1 novembre 2020). « Hydrogen Wars’ Pit Europe v. China for $700 Billion Business » Récupéré de https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-11-01/-hydrogen-wars-pit-europe-v-china-for-700-billion-business par l’agence Bloomberg, attire les investisseurs. Sans oublier que cette initiative est relayée par une couverture médiatique très large et plutôt favorable, comme en témoignent les nombreux articles et publications parus sur le sujet au cours des trois dernières années, dont l’objectif semble être l’acculturation des citoyens à cette « révolution » énergétique17De Perthuis C. (9 septembre 2020). « L’hydrogène sera vraiment révolutionnaire s’il est produit à partir des renouvelables » Récupéré de https://theconversation.com/lhydrogene-sera-vraiment-revolutionnaire-si-il-est-produit-a-partir-des-renouvelables-145804.
Mais si l’intérêt au niveau politique, scientifique et industriel est indéniable, un rapide retour en arrière sur l’histoire de ce gaz et les tentatives de commercialisation pour un usage quotidien jettent le doute sur le succès de son déploiement à grande échelle.
L’amnésie collective autour de la « solution » hydrogène
L’hydrogène (H) est l’atome le plus répandu dans l’univers. Sous forme de dihydrogène (H2), c’est un gaz dont les potentialités énergétiques et les propriétés physiques représentent un substitut crédible des carburants fossiles. Très peu disponible à l’état naturel18Quelques gisement ont été découverts au fond des océans et dans les zones de faille active, où l’H2 est mélangé à des émanations de gaz volcaniques, mais également en Russie, dans la croûte continentale ou encore au Mali, qui dispose d’une source d’hydrogène très pur, à 98 %., il est nécessaire de le produire à partir d’autres ressources pour en disposer. Pouvant être stocké après avoir été produit à partir d’électricité (dans des cuves spéciales à cause de sa forte volatilité), il offrirait une solution idéale pour pallier l’intermittence des sources d’énergie renouvelables, comme le photovoltaïque ou l’éolien.
De plus, liquéfié ou compressé, il peut être transporté (via des pipelines par exemple) pour servir de source d’énergie à un endroit différent du lieu de production, avec très peu de pertes : c’est en ce sens qu’on le qualifie de « vecteur énergétique ». On peut ensuite l’utiliser soit directement comme carburant (pour produire de la chaleur ou de la force motrice), soit pour produire de l’électricité à l’aide d’une pile à combustible (PAC). Enfin, lors de sa combustion, il ne rejette que de l’eau, ce qui en fait une source d’énergie compatible avec les objectifs de décarbonation, sur le papier tout du moins.
Mis en évidence par le chimiste suisse Paracelse au début du XVIe siècle, dont les travaux seront repris au XVIIIe siècle par Henry Cavendish, il est obtenu dans un premier temps en faisant réagir des métaux (zinc, fer) avec de l’acide sulfurique. Antoine Lavoisier présente ce « gaz inflammable » en 1783 à l’Académie des sciences de Paris, sous le nom d’hydrogène, du grec « formeur d’eau » et ce n’est qu’en 1800 que la production de ce gaz par électrolyse19On sépare les molécules d’eau (H2O) en deux parties : l’H et l’O. Il sera formé de l’H2 et de l’O2 par recombinaison moléculaire. Il faut un peu plus d’1 KWh d’électricité pour fabriquer l’équivalent d’1KWh d’H2 à cause des quelques pertes énergétiques liées à la transformation chimique. Lors de la retransformation en électricité, le rendement total chute à 32 % (soit 0.33 kWh) et doit donc être fortement amélioré pour représenter une solution efficace. de l’eau est réalisée pour la première fois.
On la doit à deux autres chimistes, William Nicholson et Sir Anthony Carlisle. Alors qu’ils laissent tomber dans l’eau les conducteurs d’une pile électrique inventée par Alessandro Volta la même année, ils identifient la présence de deux gaz, l’oxygène et l’hydrogène, formés autour des pôles de la pile. Ce procédé ayant pour principal défaut de nécessiter une grande quantité d’électricité, peu disponible à cette époque, déjà les industriels lui préfèrent une production à partir de la pyrolyse du charbon dans des usines à gaz (gazéification) : brûlé à très forte température, ce dernier se décompose en gaz de houille, composé à 50 % d’H2. Les autres gaz produits sont majoritairement du méthane et du monoxyde de carbone, principaux responsables de l’effet de serre tant décrié.
Dès le XIXe siècle, l’hydrogène est intégré dans de nombreuses innovations technologiques et procédés industriels. Dans la mobilité tout d’abord. Étant bien plus léger que l’air, il sert à gonfler les ballons puis les dirigeables. Mais sa très forte inflammabilité est un problème et après le tragique événement du zeppelin Hindenburg en mai 1937, il est totalement abandonné pour cette utilisation « grand public ».
Puis rapidement, les inventeurs perçoivent son potentiel énergétique. En 1807, le premier moteur à combustion interne, inventé par François Isaac de Rivaz, est conçu pour fonctionner à l’hydrogène (en réalité, au gaz de houille). La pile à combustible (PAC) quant à elle est une technologie mature. Inventée en 1845 par William Robert Grove, c’est un modèle plus « élaboré » (développé par Francis T.Bacon) qui servira aux premières missions spatiales Apollo dans les années 60.
Présentant un fort potentiel énergétique, l’hydrogène a longtemps été couplé au méthane dans le gaz de ville, pour alimenter l’éclairage public. Dans les années 70, des études sur l’hydrogène comme source d’énergie et stockage d’électricité issue d’énergie solaire sont réalisées, notamment aux États-Unis, en prévision de la fin des ressources d’hydrocarbures. L’hydrogène y est pour la première fois envisagé comme une solution énergétique viable et « l’économie de l’hydrogène » prend forme, popularisée dans les années 2000 par l’essayiste et prospectiviste économique américain Jérémy Rifkin, dans un livre paru en 200220Rifkin J. (2002). L’économie hydrogène : après la fin du pétrole, la nouvelle révolution économique. Paris : La Découverte, 334 p..
Différentes études et initiatives ont ensuite été lancées durant les années 70 et 80 (notamment financées par l’International Gas Association for Hydrogen Energy), dans le secteur de la mobilité. Puis de nouveau dans les années 2000 avec le lancement de programmes et d’ateliers organisés par l’International Partnership for Hydrogen Economy Développement21Jammes L. (2021) « Regards croisés sur les feuilles de route hydrogène de trois pays : le Canada, le Japon et la France. Quels enseignements? » dans Transition énergétique bas carbone (et hydrogène) : quelles politiques? VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Hors-série 34. consulté le 29 mai 2021. Récupéré de http://journals.openedition.org/vertigo/30135, dont font partie le Canada et la France. La recherche a abouti à l’amélioration des PAC et au prototypage de véhicules à hydrogène (notamment par BMW), persuadés que la filière avait un grand potentiel. Mais la crise économique de 2008, les coûts technologiques exorbitants et le manque de maturité des réseaux de distribution ont freiné fortement les développements. L’hydrogène est resté un bruit de fond dans le mix énergétique, jusque récemment.
Un obstacle majeur : la production décarbonée
En 2019, environ 120 millions de tonnes d’H2 ont été produites et consommées dans le monde22Sönnichsen N. (26 janvier 2021) « Global hydrogen production and use by sector 2019 » Récupéré de https://www.statista.com/statistics/1199339/global-hydrogen-production-and-consumption-by-sector/#:~:text=Natural%20gas%20is%20the%20main,at%2038%20million%20metric%20tons et sa fabrication est pour le moment encore très dépendante des énergies fossiles. Pour faciliter les échanges commerciaux, on distingue plusieurs « couleurs » d’hydrogène, en fonction de son mode de fabrication : gris, bleu, jaune ou vert23Deboyser B. (28 octobre 2020). « Hydrogène : vous le voulez vert, bleu, gris, jaune ou nature ? ». Récupéré de https://www.revolution-energetique.com/hydrogene-vous-le-voulez-vert-bleu-gris-jaune-ou-nature. Elles n’ont pas toutes le même impact environnemental et c’est là une des premières objections que l’on peut faire : l’hydrogène actuellement commercialisé est responsable d’externalités négatives non négligeables si on prend en compte la totalité de son cycle de vie. Pour que ce vecteur représente une option pertinente pour la transition énergétique, il faut que sa production soit décarbonée.
Le plus répandu est l’H2 « gris » qui représente 95 % de la production mondiale. Il est obtenu par vaporeformage : on chauffe à très haute température (entre 700 °C et 1100 °C) du gaz naturel (essentiellement composé de méthane, 6 % de son utilisation annuelle globale) ou du charbon, avec de la vapeur d’eau. La réaction forme de l’hydrogène et du monoxyde de carbone, qui en présence d’un excès de vapeur d’eau, s’oxyde de nouveau, se transformant en dioxyde de carbone (CO2). Ce procédé permet de produire de l’H2 abordable (autour de 1,5 $ CAD le kilo), mais se révèle très polluant et son coût risque de fortement augmenter sous l’effet de l’augmentation du prix de la « taxe carbone ». En effet, on estime que pour la production d’une tonne d’hydrogène, entre 9 et 19 tonnes de CO2 sont dégagées24Les émissions sont de 9-10 tonnes de dioxyde de carbone par tonne d’hydrogène (tCO2 / tH2) provenant du gaz naturel, 12 tCO2 / tH2 provenant de produits pétroliers et 19 tCO2 / tH2 provenant du charbon. Rapport AIE (2019) Récupéré de https://www.iea.org/reports/the-future-of-hydrogen. en fonction de l’hydrocarbure utilisé, représentant environ 2 % des émissions de CO2 mondiales25Soit environ 830 millions de tonnes de CO2 rejetées en 2019, l’équivalent des rejets de la Grande Bretagne et de l’Indonésie cumulés. Transitions énergie. La rédaction (30 avril 2020). « L’hydrogène peut-il remplacer le pétrole? ». Récupéré de https://www.transitionsenergies.com/hydrogene-remplacer-petrole/ en 2019.
Dans l’ordre décroissant, on trouve ensuite l’H2 « bleu », dont la part est en constante augmentation. Dans ce cas, une partie du CO2 est captée lors de la production par séquestration, mais cette technique ajoute un coût supplémentaire à la production (estimé à 50 %)26Op. Cit.. Elle est de plus en plus utilisée par les industriels, conscients que pour stimuler l’économie de l’hydrogène, au-delà du coût de revient, c’est l’impact environnemental associé qu’il faut diminuer.
Mais le procédé plébiscité est l’électrolyse de l’eau. Ce procédé de fabrication n’émet pas de CO2 et comme la combustion de l’hydrogène non plus, c’est ce cycle vertueux qui est aujourd’hui mis en avant. Ici, c’est la provenance de l’électricité utilisée qui est importante. Si cette dernière est d’origine nucléaire, l’H2 produit est alors « jaune » ou « fluo ». Si elle est issue d’énergies renouvelables, il est « vert », mais sa part ne représente encore qu’environ 1 % du volume total produit chaque année et il reste très cher à produire (entre 5 et 7 $ CAD le kilo)27Op. Cit.; rien qui ne justifie donc l’engouement observé28Jancovici J.-M. (1er octobre 2020). « Sus à l’Hydrogène ». Récupéré de https://jancovici.com/publications-et-co/articles-de-presse/sus-a-lhydrogene.
Malgré les avancées technologiques récentes, l’impact environnemental de la production d’hydrogène reste très important comme le confirme une étude très récente de l’institut de Potsdam sur la recherche de l’impact climatique29Ueckerdt, F., Bauer, C., Dirnaichner, A., Everall, J., Sacchi, R. et G Luderer, G. (mai 2021). Potential and risks of hydrogen-based e-fuels in climate change mitigation. – Nature Climate Change. Consultée le 03 juin 2021. Récupéré de https://publications.pik-potsdam.de/pubman/faces/ViewItemOverviewPage.jsp?itemId=item_25599. Et cela même avant de considérer les travaux titanesques nécessaires pour développer quasiment ex nihilo les installations, les usines, le réseau de distribution, etc. car l’amorce de transition nécessite des investissements colossaux.
Un développement coûteux et destructeur sur le plan écologique
Pour s’imposer durablement dans le mix énergétique mondial et notamment l’électrification, l’hydrogène vert (ou propre) nécessitera une augmentation considérable30Selon le rapport de l’AIE il faudrait multiplier par 11.000, d’ici 2080, la capacité de production électrique via des piles à hydrogène, pour passer de 0,3 gigawatt à 3300 gigawatts. des moyens de production dont de puissants électrolyseurs et beaucoup… d’électricité. En effet, l’électrolyse est très énergivore, ce qui augmente le besoin énergétique global au lieu de le réduire, aggravant notre situation face au risque de pénurie et nourrissant la spirale négative du « système technicien »31Selon Jacques Ellul, l’être humain est désormais dominé par le « système technicien ». Nous devenons les instruments de nos machines. La recherche d’une ressource permettant de perpétuer notre mode de vie aveugle notre raison et peut avoir des conséquences pires que les maux qu’on essaye de réduire., aveuglant, dénoncé par Jacques Ellul.
Par ailleurs, le faible rendement de la production (entre 30 % et 55 % de l’énergie totale est perdue)32Op. Cit. participe à un gaspillage énergétique dont on pourrait évidemment se passer, injuste vis-à-vis des générations actuelles et futures. Cela comprend les pertes liées à la fabrication, au stockage, puis celles liées au mauvais rendement des PAC (environ 30 %), nécessaires pour retransformer cet hydrogène en électricité. En admettant que l’efficience des procédés de fabrication et les technologies s’améliorent, on risque d’être encore loin du compte. Pour remplacer de manière universelle les hydrocarbures, il faut donc que la production d’hydrogène soit basée sur des énergies renouvelables. Seule la gestion des pics de production des énergies renouvelables33Martin L. (16 décembre 2020). « L’hydrogène, le nouvel eldorado énergétique au Canada? » Récupéré de https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1757487/strategie-canadienne-hydrogene-transition-energetique justifie un tant soit peu ce gaspillage. Mais cette solution présente d’autres problèmes.
En effet, la fabrication des électrolyseurs et des PAC nécessite d’importantes ressources abiotiques (notamment le platine ou le nickel servant de catalyseur, entourant les électrodes) extraites dans des régions du globe où les conditions de vie et de travail, ainsi que les considérations écologiques, sont parfois très loin de nos standards. L’importation massive de ces matières premières perpétue l’extractivisme indispensable34Selon Philippe Bihouix, l’hydrogène ne peut être une solution globale à la dépendance énergétique. Par ailleurs, selon lui, on ne fait que déplacer le problème de la pollution à l’extérieur des villes. Propos recueillis par le mouvement « le colibri » en 2018. Récupéré de https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/vraiment-vertes-energies-renouvelables aux énergies renouvelables. Cette délocalisation des externalités négatives représente l’une des injustices communes aux technologies « vertes » : on extrait les ressources ailleurs, permettant de contenir ici les niveaux d’émission de GES et notre consommation d’énergies fossiles.
L’enjeu écologique induit par cet extractivisme est à lui seul un sujet de préoccupation majeur, car sans ces métaux ni les PAC ni les hydrolyseurs, fonctionnant grâce à des technologies similaires, ne pourraient être construits. Or, l’hydrogène ne représente encore qu’environ 2 % de la demande énergétique mondiale. Mais dopée par les subventions publiques, sa part augmente, ce qui risque d’induire une hausse de la demande en ressources abiotiques, par ailleurs déjà en cours.
Dans tout marché, il faut des débouchés permettant de rentabiliser les investissements et justifier la mise à l’échelle projetée. Les clients sont-ils prêts à « consommer de l’hydrogène »? Rien n’est moins sûr. L’intérêt des industriels est donc de stimuler la demande, notamment dans un secteur, celui de la mobilité, même s’il ne représentait que moins de 0.01 % de la consommation d’H2 en 201935Op. Cit. selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
La voiture à hydrogène : un symbole populaire pour convaincre
Si les principaux débouchés de l’hydrogène sont actuellement essentiellement industriels, dans la fabrication d’engrais, d’ammoniac ou le raffinage d’hydrocarbures, son adoption populaire pourrait s’appuyer sur un objet sacralisé parmi tous : la voiture.
En effet, le secteur des transports est l’un des plus polluants dans le monde : selon l’AIE, en 2019, 25 % des émissions de GES lui ont été attribués, dont la majeure partie (75 %) au transport routier de fret et de passagers36Tracking transport 2020, https://www.iea.org/reports/tracking-transport-2020. Certes, ces chiffres ne sont que des estimations, mais ils illustrent un phénomène bien réel et une tendance haussière qu’il faut stopper. C’est à travers cette brèche que les promoteurs de l’hydrogène comptent implanter leur modèle et convertir l’opinion, car en théorie il représente un avantage majeur pour la décarbonation de la mobilité, notamment urbaine. Mais est-ce réaliste?
Une voiture à hydrogène, c’est en fait une voiture électrique, dont l’électricité ne provient pas de batteries, mais est produite dans une PAC grâce au gaz stocké dans un réservoir spécial. Elle présente plusieurs avantages37Afhypac. (révision de septembre 2019). Fiche 4.2 « stockage de l’hydrogène sous forme de gaz comprimé ». Memento de l’hydrogène. Récupéré de http://www.afhypac.org/documents/tout-savoir/Fiche%204.2%20-%20Stockage%20hydrog%C3%A8ne%20comprim%C3%A9_rev%20sept%202019%20TA-PM.pdf : recharge rapide (en 5 minutes) dans une station dédiée, autonomie très correcte, soit environ 500 à 600 km avec un plein de 4 à 5 kilos de H2 pour les voitures actuelles. Au Japon, en Corée du Sud et en Chine, les véhicules individuels à hydrogène se multiplient. Mais ils restent chers (le prix d’un véhicule léger38Sans compter le coût de revient d’un plein d’hydrogène vert, autour de 60 $ CAD pour 500 km, s’il est fabriqué dans la station à partir d’énergies renouvelables, seul scénario vraiment écologique. à PAC se situe autour des 70 000 $, dont 30 000 $ juste pour la PAC) et rencontrent des problématiques d’approvisionnement en énergie. En effet, il ne suffit pas de construire le véhicule, encore faut-il pouvoir l’utiliser pour les usages quotidiens. Il faut donc déployer un réseau de distribution, des stations-service, des lieux de stockage sécurisés, une maintenance dédiée… Et les coûts sont faramineux : par exemple, une station-service d’hydrogène (produisant sur place entre 50 kg et 300 KgH2/jour, soit de quoi alimenter environ une centaine de véhicules) est estimée à 2,5 M $ CAD39Op. Cit..
Par ailleurs, est-il vraiment plus écologique de rouler à l’hydrogène? Si l’on en croit les travaux menés sur le sujet, pas vraiment. Pour l’illustrer, une étude sur l’écobilan des voitures à PAC menée en 2015 par le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (en allemand Eidgenössische Materialprüfungs und Forschungsanstalt, ou Empa) révèle qu’en faisant l’analyse du cycle de vie complet (ACV – de la production au recyclage, y compris le carburant utilisé) une petite voiture à hydrogène aurait le même impact écologique qu’une voiture de sport luxueuse, soit l’équivalent d’une consommation de 12 l/100 km, lorsque la même voiture à essence aurait une consommation supposée de 6.1 l/100 km (et électrique 6.4 l/100 avec le mix de courant européen)40Klose R. (2015). « Les piles à combustible sont-elles écologiques? Pas toujours ! ». Récupéré de https://www.empa.ch/fr/web/s604/brennstoffzellen.
Cette étude datant de 2015, des progrès ont dû être réalisés… mais pas au point de tout miser sur ce débouché. En effet, en France, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a publié en 2020 une étude sur l’ACV d’un véhicule à hydrogène léger de type berline : sa contribution au réchauffement climatique n’est que 5 % inférieure à celle d’une voiture à essence lorsque l’hydrogène consommé provient de vaporeformage… soit encore la majorité de sa production41Stoffregen A., Bodineau L., QuerleuC. et H. Teulon. (2020). Analyse du Cycle de vie relative à l’Hydrogène et usages en mobilité légère. Rapport pour l’Agence de la transition énergétique. ADEME..
Compte tenu de ses prix de fabrication et du prix « à la pompe », la voiture individuelle à l’hydrogène reste, dans l’état actuel des choses, peu envisageable à grande échelle. Par ailleurs, deux chiffres peuvent à eux seuls faire oublier l’auto à hydrogène pour « monsieur Tout-le-Monde » : 1,32 milliard et 13 000. Le premier représente le nombre estimé de véhicules en circulation sur la planète en 201642Petit S. (17 octobre 2017). « Le parc automobile mondial a augmenté de 4,6 % en 2016 ». Récupéré de https://wardsintelligence.informa.com/WI058630/World-Vehicle-Population-Rose-46-in-2016 et le deuxième, c’est le nombre de véhicules à hydrogène en circulation fin 2018. Soit un rapport de 1 pour 100 000! Même si l’estimation la plus optimiste de l’Hydrogen Council de 430 M de véhicules à hydrogène en 2050 se réalise43Hydrogen Council. (novembre 2017). Hydrogen scaling up: A sustainable pathway for the global energy transition. p.29. Récupéré de https://hydrogencouncil.com/wp-content/uploads/2017/11/Hydrogen-scaling-up-Hydrogen-Council.pdf, on sera loin du compte. Sans oublier les ressources abiotiques (métaux, plastiques, etc) nécessaires à leur fabrication et considérant que l’hydrogène consommé reste vert… sinon, quel est l’intérêt? En effet, dans les ACV, c’est surtout la provenance de l’hydrogène qui impacte le bilan carbone.
Par honnêteté intellectuelle, il faut préciser qu’il existe des débouchés plus réalistes dans le domaine du transport de fret et de la mobilité longue distance, dans lequel les véhicules électriques ne présentent que peu d’intérêts, que cela soit en termes de performances ou en raison de la relativement faible autonomie des batteries. Ici, la critique se situe sur les capacités à produire de l’hydrogène propre en quantité suffisante avec des procédés respectueux de l’environnement, face à l’évolution de la demande. Cette dernière a déjà triplé depuis 1975 et selon les experts de L’AIE, d’ici 2050 environ 30 % de l’énergie pourrait provenir de l’hydrogène44Op. Cit. p.18.
Cela stimule l’économie, mais est-ce soutenable face à une demande globale en énergie qui continue d’augmenter? Car en cas de succès, il faudrait aussi prendre en compte l’effet rebond qui pourrait advenir; en prônant les vertus de l’hydrogène, le consommateur final pourrait implicitement avoir le sentiment d’agir pour la planète en consommant une énergie « verte » et être moins regardant à la dépense, accélérant le cycle infini de la fuite en avant technologique pour contrer les effets de nos actions.
La fin justifie-t-elle toujours les moyens?
Une nouvelle étude de l’AIE parue en 202145Agence internationale de l’énergie. (2021). Financement des transitions énergétiques propres dans les économies émergentes et en développement. AIE. Paris. Récupéré de https://www.iea.org/reports/financing-clean-energy-transitions-in-emerging-and-developing-economies a démontré que l’objectif de neutralité carbone ne pourrait être atteint qu’en remplaçant durablement les hydrocarbures dans le mix énergétique mondial. Il semblerait donc que l’hydrogène fasse partie des solutions. Mais malgré la multiplication des travaux de recherche, il n’est pas assuré que ce sera un jour le carburant écologique tant espéré, ce qui aggrave encore l’injustice intergénérationnelle : les investissements actuels servent potentiellement des projets non climato-compatibles, à fonds perdu.
Lorsqu’on regarde le potentiel de cette filière, l’impression ressentie est que l’on inverse la fin et les moyens. L’hydrogène est présenté comme la technologie de rupture permettant enfin le découplage tant espéré par les économistes et la fin de la dépendance au pétrole. L’injection massive de capitaux (publics et privés) et les améliorations technologiques ont un effet très stimulant et galvanisant, ouvrant la voie à une filière économique et énergétique très prometteuse. Cela explique peut-être l’intérêt soudain pour ce gaz, y compris chez les investisseurs boursiers46Kuczynski E. (2 février 2021). « L’hydrogène enflamme la Bourse : gare à la bulle spéculative ». Récupéré de https://fr.businessam.be/lhydrogene-enflamme-la-bourse-gare-a-la-bulle-speculative/ : il devient à leurs yeux une simple marchandise à échanger, à l’image du pétrole, sujet aux bulles spéculatives.
Mais en perpétuant cette approche dogmatique et technocentrique des problématiques environnementales, il semblerait aujourd’hui que les plans stratégiques et les projets entrepris se concentrent avant tout sur le développement des énergies « vertes » dont fait partie l’hydrogène. Pressés par une vague d’écologistes et une prise de conscience populaire, les promoteurs de l’hydrogène semblent oublier le véritable problème, qui est que les ressources s’épuisent et que l’activité humaine tend à détruire notre planète.
L’hydrogène devient un symbole rendant possible le statu quo, sans renoncer à la sacro-sainte croissance économique. Il sert totalement les intérêts économiques en proposant aux marchés un nouvel eldorado47Couëdic H. (9 septembre 2020). « Bourse : l’hydrogène, le nouvel eldorado des investisseurs ». Récupéré de https://www.lerevenu.com/bourse/bourse-lhydrogene-le-nouvel-eldorado-des-investisseurs, une pluie de subventions et favorise la création d’emplois (surtout qualifiés) : la raison économique l’emporte encore. Déployée dans une approche top-down, cette solution vise à rassurer les citoyens quant à l’atteinte des objectifs de décarbonation du monde thermo-industriel et l’alternative de l’après-pétrole.
Mais pour quels besoins? Ne devrait-on pas, à minima, concentrer les efforts vers une amélioration de l’efficacité du système énergétique actuel, dont les technologies sont existantes et éprouvées, et conserver de la clairvoyance dans le déploiement de la filière hydrogène, tel que le prône l’association Negawatt48Association négaWatt. (septembre 2020). Développer l’hydrogène : pourquoi et comment? 4 p. Récupéré de https://www.negawatt.org/IMG/pdf/200909_note_developper-lhydrogene_pourquoi-et-comment.pdf? Ou encore, aller plus loin en ouvrant un débat démocratique sur la transition énergétique49Sur ce point, j’ai découvert le travail de Frédérick Lemarchand et des chercheurs associés alors que je travaillais à la deuxième version du présent texte. De nombreuses convergences, notamment sur l’importance de la « mise en démocratie » du débat autour de la transition énergétique et les usages de l’hydrogène m’ont conforté dans mon analyse. Lemarchand F. (avril 2021). « La place de l’imaginaire technique dans la transformation de systèmes sociotechniques ». Dans Transition énergétique bas carbone (et hydrogène) : quelles politiques? Vertigo, la revue électronique en sciences de l’environnement. Hors-série n° 34. Consulté de 02 juin 2021. Récupéré de https://journals.openedition.org/vertigo/29985 et envisager la réduction de notre consommation?
Au Québec, où l’électricité est majoritairement d’origine hydroélectrique, l’hydrogène (vert, bien entendu), peut jouer un rôle dans le mix énergétique participant à la réduction des émissions de GES dans certaines portions de l’industrie. Mais cette situation particulière est loin d’être un cas général et il me paraît évident que l’adoption universelle de ce gaz en remplacement des énergies fossiles relève bien d’une utopie dans la perspective de la décroissance. Que ce soit en termes de production à grande échelle, de système de distribution ou encore de débouchés pour une utilisation courante et abordable, la réalité est que malgré les avancés actuelles et l’engouement économique et politique observés, l’hydrogène est encore loin de présenter toutes les caractéristiques du champion dont on fait aujourd’hui l’éloge.
Face à l’accélération soudaine autour de LA solution hydrogène promue par des personnalités influentes telles que Jeremy Rifkin, des voix dissidentes plutôt bien informées se font entendre, notamment en France, comme celles de Jean-Marc Jancovici50Fondateur du Shift Project, un Think tank influent sur la transition écologique et co-inventeur du bilan carbone personnel. Ressources sur https://theshiftproject.org/. Aux grandes annonces s’accolent aujourd’hui des discours plus prudents, venant du monde politique51En France, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (avril 2021) met l’emphase sur les nombreux freins quant à la mise en place d’une stratégie hydrogène « totale », où l’hydrogène s’impose comme produit de substitution face aux hydrocarbures, tout en concevant l’H2 comme un produit complémentaire à intégrer au mix énergétique actuel. Disponible sur http://www.senat.fr/rap/r20-536/r20-5361.pdf ou industriel52En mars 2021, Herbert Diess, le PDG de Volkswagen confiait au Financial Times qu’investir dans la course aux véhicules à hydrogène « n’est pas une solution pour résoudre le problème des émissions de CO2 », « pas même dans 10 ans » considérant que la voiture électrique, dont la technologie s’améliore, représente l’avenir. Sur ce sujet, il a été rejoint par d’autres personnalités influentes du monde des constructeurs automobile, dont Elon Musk, acquis à la cause de longue date. Deluzarche C. (31 mai 2021). « Voiture à hydrogène : Elon Musk et le boss de Volkswagen dénoncent une entourloupe ». Récupéré de https://korii.slate.fr/tech/voiture-hydrogene-elon-musk-patron-volkswagen-denoncent-entourloupe-rendement-environnement mettant en perspectives les obstacles majeurs de la filière hydrogène, qui est encore très loin de pouvoir concurrencer les énergies fossiles comme carburant. Un moyen de faire retomber le trop-plein d’espoir ou de mettre dès à présent les gardes fous d’un système qui risque, à terme, de décevoir les plus fervents défenseurs de la cause.
L’hydrogène est la source d’énergie du soleil et tel Icare, nous continuons de rêver à repousser les limites planétaires, pensant que cette solution miracle sera « la bonne ». Mais la seule solution viable, prônée par de nombreux activistes écologistes et les objecteurs de croissance, c’est la sobriété énergétique. Aussi, le « prix » à payer serait de revoir notre mode de production et de consommation, notre mode de vie capitaliste, en somme. Et cette perspective décroissante ne fait pas rêver. L’utopie, oui, à l’image de cet engouement fervent pour l’hydrogène53Merci à Louis Marion, Estelle Louineau et Philippe Gauthier pour leur relecture et à Sophie Turri pour la mise en page..
Notes