par Éric Darier
L’essai d’Alexandre Couture, intitulé Le système alimentaire québécois analysé par l’approche de la décroissance, est le fruit d’une maîtrise en agroforesterie. Le contenu est rigoureux, d’un niveau universitaire solide avec de nombreuses références scientifiques et des données officielles. Dans son analyse du système alimentaire actuel du Québec, l’auteur mobilise trois des valeurs centrales de la décroissance : la soutenabilité, la justice et l’autonomie. Ces thèmes retenus par l’auteur forment les trois chapitres du livre. Près de la moitié du livre est dédié au thème de la soutenabilité. Dans cette partie, l’auteur présente le bilan généralement négatif de l’agriculture industrielle au Québec, que ce soit au niveau des émissions de gaz à effet de serre (GES) des élevages, de la dégradation des sols et des eaux ou des impacts délétères sur la biodiversité et la santé. Par exemple, l’auteur nous rappelle que l’agriculture au Québec est responsable de 9,3 % des GES soit 7,63 Mt d’équivalent CO2 (p. 21).L’auteur y passe aussi en revue les politiques publiques qui ont été mises en place pour soutenir un tel système, qui orienté vers les exportations poursuit une logique capitaliste dans un contexte néolibéral.
La deuxième partie du livre aborde les thèmes de la justice, à l’exemple de l’insécurité alimentaire au Canada, du statut des travailleuses-eurs agricoles, de l’accès à la terre, des enjeux de santé et injustices envers les animaux d’élevage. Par exemple, l’auteur nous rappelle que bien que le Code civil du Québec reconnaisse que les animaux soient des êtres doués de sensibilités, les animaux d’élevage y sont exclus (p. 149).
Dans la dernière partie sur l’autonomie, l’auteur aborde de front la domination par l’économie et la technique sur le système agricole (comme les pesticides, la monoculture et les organismes génétiquement modifiés), reprenant ainsi certaines des critiques mises de l’avant par de nombreux auteurs, penseurs et activistes de la décroissance et pour l’agroécologie.
Ce n’est que dans une trop courte conclusion de quatre pages que l’auteur s’avance pour faire des propositions qui, au demeurant, restent fort générales : Couture traite par exemple de la nécessité de « décoloniser nos imaginaires » afin d’enclencher une « transition radicale » en rupture avec le système économique dominant actuel. Ceci signifie en particulier de se tourner vers l’agroécologie et les circuits courts tout en abandonnant l’agriculture industrielle et les réseaux de distribution mondiaux.
En somme, le livre de Couture constitue un ouvrage essentiel pour avoir un portrait lucide sur l’état de l’agriculture et du système alimentaire au Québec. Le cadre analytique tiré de celui de la décroissance est particulièrement convainquant et employé avec une grande habileté. Cependant, plus de détails stratégiques sur les façons de réaliser cette nécessaire transition auraient été bienvenus. Néanmoins, ce livre est une excellente entrée en matière pour celles et ceux qui cherchent une synthèse étayée sur la faillite de notre modèle agricole industriel. Ce livre est très complémentaire à mon propre article 1Cf. https://polemos-decroissance.org/darier-decroissance-et-souverainete-alimentaire/publié récemment par Polémos. J’accueille donc le livre d’Alexandre Couture comme une invitation faite aux décroissancistes à approfondir une réflexion sur les stratégies pour une transformation vers une alimentation soutenable et juste.
Référence du livre : Alexandre B. Couture, Le système alimentaire québécois analysé par l’approche de la décroissance. Sherbrooke, Les éditions Drapeau noir, 2021. ISBN 978-1-716-31460-5, 215 pages.
On peut se le procurer en contactant directement l’auteur: alexandre.b-couture.1@ulaval.ca
Notes