Archives de catégorie : Auteur·e

Polémos à CIBL 101,5 FM – Les Aurores Montréal – Croissance économique et croissance du bruit

Émission du lundi 10 juin 2024. Au micro de Jérémy Harvey, Jérémy Bouchez nous parle de la relation entre croissance économique et pollution sonore.

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Polémos à CIBL 101,5 FM – Les Aurores Montréal – La joie dans les luttes

Après une petite pause en avril, voici l’émission du lundi 6 mai 2024. Au micro de Charline Caro, Sophie Turri nous parle de la joie dans les luttes. La programmation du Festival de la décroissance conviviale qui aura lieu le 1er juin dès 9h00 au Boisé Steinberg à Montréal y est également dévoilée!

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Polémos à CIBL 101.5 fm – Les aurores montréal – La gouvernance

Émission du lundi 4 mars 2024. Au micro de Charline Caro, Noémi Bureau-Civil nous parle de gouvernance : un concept flou et d’apparence inoffensive à ne pas prendre à la légère.

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Polémos à CIBL 101.5 fm – Les aurores montréal – L’intelligence artificielle

Émission du lundi 5 février 2024. Au micro de Charline Caro, Louis Marion nous propose une critique décroissanciste de l’intelligence artificielle.

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Polémos à cibl101.5 FM – les aurores montréal – Le revenu de base

Émission du mardi 23 janvier 2024. Au micro de Charline Caro, Ambre Fourrier nous introduit au concept du revenu de base sous l’angle de la décroissance.

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Polémos à cibl101.5 FM – les aurores montréal – Obsolescence programmée

Émission du lundi 4 décembre 2023. Au micro de Charline Caro, Jérémy Bouchez nous introduit au concept d’obsolescence programmée sous l’angle de la décroissance.

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Quelle voie pour la décroissance ? Une perspective technocritique

Par Simon Chaunu

Jardin aménagé sur une friche industrielle de la Rheinische Stahlwerke zu Meiderich (Aciérie rhénane de Meiderich) à Duisburg. Crédit : Alexandre Prevot. Sous licence CC BY-SA 2.0 DEED

Dans le cadre d’une thèse qui vient d’être récemment déposée1Thèse consultable à cette adresse : https://corpus.ulaval.ca/entities/publication/c49ab084-e3a5-40c3-ab60-32b687a2b4d1, je me suis consacré à étudier la pensée de quatre auteurs du XXe siècle, qui sont aujourd’hui considérés comme des « précurseurs de la décroissance »2Latouche, S. (2026). Les précurseurs de la décroissance. Paris: Le passager clandestin. Quand bien même aucun d’entre eux – que ce soit Lewis Mumford (1895-1990), Günther Anders (1902-1992), Jacques Ellul (1912-1994) ou Ivan Illich (1926-2002) – ne se soit réclamé de la décroissance de son vivant, puisque le terme, avec toute sa charge polémique, ne s’est popularisé qu’à partir des années 2000. Mais il est vrai que leur critique radicale de la civilisation industrielle a inspiré des courants écologistes, certains révolutionnaires, tant à leur époque que de nos jours.

Mon étude étant avant tout de nature historique et sociologique – donc scientifique – j’ai préféré ne pas approcher frontalement les leçons politiques, et normatives plus généralement, qu’il est possible d’en tirer. Je me propose ici d’explorer davantage ce sujet, car je pense que d’une part les œuvres de ces quatre intellectuels peuvent nous aider à mieux repérer certaines failles dans les discours contemporains de l’écologisme et de la décroissance, et que d’autre part la mise en lumière de leurs propres erreurs de jugement peut grandement nous aider.

En premier lieu, il me faut revenir sur le diagnostic critique qu’ils ont élaboré de manière convergente au cours de huit décennies (des années 1920 jusqu’aux années 1990). Il ne s’agit pas d’une doctrine ou d’une théorie à proprement parler, mais d’une matrice intellectuelle, constituée de leitmotivs, c’est-à-dire de thèmes discursifs récurrents. Parmi eux, j’ai en identifié sept en particulier, en commençant avec la mystification de la Technique, c’est-à-dire l’autonomisation et la fétichisation de cette puissance de mise en ordre des forces naturelles et sociales dans notre modernité. Vient ensuite celui de la dissolution de la Nature, de la soumission ou destruction des milieux écologiques par cette même puissance technicienne. De manière plus frappante, ces auteurs dénoncent aussi avec force l’abaissement de l’Humanité, par la prolétarisation des emplois manuels notamment. Cette dernière critique mène également à celle de l’expansion des Médias, car la création d’un univers artificiels d’images et de sons vise avant tout à distraire l’humanité quant à son sort. Sur un plan davantage politique, c’est la transformation de l’État qui est relevée, autrement dit sa mutation en un vaste corps organisé prétendant réguler toutes les dimensions de l’existence. Face à ce nouveau pouvoir, il faut constater l’épuisement de la Révolution, et plus généralement l’incapacité de l’humanité de juguler les forces technologiques qu’elle a lâchées dans son monde. Néanmoins, malgré leur sombre diagnostic, Mumford, Ellul et Illich prônent le maintien de l’Espérance – et dans le cas d’Anders, le refus de la résignation.

Pour synthétiser la perspective de ces quatre auteurs, il s’est ainsi créé à partir de la révolution industrielle (et avec une accélération prodigieuse suite à la Seconde guerre mondiale) un système mégatechnique ne visant que sa propre croissance, au détriment des équilibres naturels et des aspirations humaines les plus positives. Or le mouvement actuel de la décroissance3Tout du moins ses tendances les plus modérées dans le monde francophone, incarnées notamment par Paul Ariès, Vincent Liegey ou encore Timothée Parrique. n’appelle le plus souvent qu’à la réduction ou l’abandon du PIB, de l’économie monétaire officielle (confondue avec le « capitalisme »), ce qui n’est, somme toute, que la « superstructure » mathématisée d’un complexe technologique composé d’une myriade d’objets et de réseaux techniques, insérés dans tous les aspects de nos existences. Pour leur part, les environnementalistes réformistes, obsédés par la seule crise climatique et sa gestion technocratique « verte », ne souhaitent qu’assurer la « transition » de cette mégamachine vers un modèle supposément plus durable.

Ainsi, Mumford, Anders, Ellul et Illich (sans oublier bien d’autres penseurs et penseuses, d’hier comme d’aujourd’hui) nous encouragent à analyser et rejeter l’univers synthétique et technicisé qui est devenu notre monde en l’espace de seulement deux siècles. C’est évidemment une voie plus âpre à suivre, mais la seule valable si l’on souhaite sortir de cet enfer industriel qui menace la vie sur terre. Un corollaire majeur d’une telle prise de position est que le jeu politique contemporain – « démoniaque » aux yeux d’Ellul – doit être évité. Un écologisme révolutionnaire bien compris ne peut s’enfermer dans les catégories bourgeoises de la Gauche, du Centre et de la Droite (d’autant plus que dans l’ère néolibérale les différences effectives entre ces familles partisanes se réduisent bien souvent à des questions culturelles et morales). Ou sinon, en suivant ce que suggérait Bernard Charbonneau4Charbonneau, B. (2021). « L’écologie ni de droite ni de gauche » (1984), dans La nature du combat. Pour une révolution écologique. Paris: L’échappée.,  il faut reprendre certaines valeurs de l’ancienne Gauche (la justice et de l’égalité) et de la vieille Droite (la conservation et de l’héritage), tout en rejetant vigoureusement, pour l’heure, celles du Centre (le mérite et le progrès).

Le modèle de militantisme écologiste qui a cours présentement, consistant essentiellement en des actions coup de poing visant à amener les États à « agir », risque ainsi de ne déboucher que sur une impasse, car il s’insère dans un cadre institutionnel qui in fine ne vise que la reproduction de l’ordre techno-industriel. Comme l’appelaient de leurs vœux nos quatre intellectuels, c’est un changement de civilisation, une révolution des valeurs et des aspirations qu’il faut d’abord accomplir. Dans les années 1960, le militant gauchiste allemand Rudi Dutschke avait appelé à « une longue marche à l’intérieur des institutions » afin d’en arriver à une société écosocialiste et pacifiste – un projet qui échoua. Dans la situation dans laquelle nous sommes, c’est davantage « une (très) longue marche en dehors de la civilisation (industrielle) » qu’il faut concevoir. Et s’ils peuvent nous inspirer, Mumford, Anders, Ellul et Illich ont néanmoins sous-estimé certains facteurs nécessaires pour mener à bien une telle démarche. Bien entendu, ils attendaient une action des masses pour sortir de l’enfer techniciste, selon des modalités plus ou moins différentes pour chacun d’entre eux ; mais sans réellement articuler les conditions et les moyens de cette action, une fois posé le principe qu’une doctrine révolutionnaire lui était préalablement nécessaire5Seul Anders a vraiment osé détailler une méthode d’action concrète, de manière très controversée, comme le montrent les textes polémiques collectés dans La violence : oui ou non. Une discussion nécessaire (1987).. De fait, leur praxis s’est réduite pour l’essentiel à former un petit cercle d’amis et de disciples pour diffuser leur pensée – ce pour quoi il est difficile de les blâmer sur un plan personnel, vu les circonstances de leur époque.

Pour prendre corps, tout projet de renversement de l’ordre établi doit être porté par une large base sociale, une classe sociale en ascension. En effet, une révolution se conçoit avant tout comme le coup de boutoir ultime et décisif contre un système politique et juridique ne correspondant plus au véritable équilibre des forces dans une société. Les révolutions « atlantiques » aux Pays-Bas, en Angleterre, en Amérique et en France, durant l’ère moderne, ont ainsi exprimé la puissance montante de la bourgeoisie, la classe sociale de l’industrie, du commerce et de la science, en opposition à une noblesse et un clergé agrippés à des structure sociales vermoulues. Plus tard, Marx et Engels affirmèrent que la révolution communiste à venir serait celle d’un prolétariat organisé, prêt à prendre en main pour son propre bien la machine industrielle élaborée sur les ordres de la classe bourgeoise. L’on sait que cette prophétie historiciste ne se réalisa pas, et ne se réalisera certainement jamais, d’autant plus que les mouvements actuels de critique du capitalisme ne sont pour la plupart, en Occident, que l’expression d’une classe moyenne craignant à juste titre l’effritement de son niveau de vie.

Cela a été souvent souligné : contrairement aux prédictions de la sainte théorie marxiste, les régimes du « socialisme réel » au XXe siècle n’ont triomphé que dans des pays en voie de  (sous-)développement, voir arriérés et féodaux, en prenant principalement appui sur les luttes des paysans sans terres et des artisans précaires. Pour ensuite les écraser ou les enrégimenter au profit d’une industrialisation à marche forcée, imitant ainsi les révolutions bourgeoises qui s’étaient aussi servi de ce peuple comme chair à canon. Malgré l’accusation récurrente d’être porteuse de tendances réactionnaires, c’est donc pourtant bien cette base sociale paysanne-artisane qui au cours de l’histoire des civilisations s’est révélée prête, héroïquement et tragiquement, à affronter des dominations iniques, souvent sans succès6C’est en tout cas un schéma qui me semble émerger nettement quand on étudie l’histoire des civilisations, et que par ailleurs Mumford et Ellul effleurent l’un comme l’autre dans leurs ouvrages respectifs.. Le problème évident est que, dans nos « sociétés post-industrielles avancées », elle n’existe plus, et a été remplacé par des « agriculteurs », c’est-à-dire des entrepreneurs assistés d’esclaves mécaniques (sans nier la pénibilité bien connue de leurs métiers).

Par conséquent, si l’on accepte mes thèses, les écologistes et les décroissants doivent encourager la reconstitution d’une telle coalition sociale, c’est-à-dire généraliser et théoriser ce que certains et certaines font déjà à un niveau individuel, en choisissant de revenir à un travail manuel. En somme, il s’agit d’imiter ce que la bourgeoisie a accompli sur quelques siècles, plus ou moins volontairement, en « matérialisant » et « incarnant » (pour parler comme Mumford) des valeurs et des désirs contraires à l’ordre féodal7On pourra estimer que cette thèse est idéaliste : pour ma part, je l’inscris à la suite des travaux sur l’imaginaire social-historique de Cornelius Castoriadis (par ailleurs lui-même un penseur technocritique).. Dans cette perspective, il faut alors abandonner l’idée de « sauver la planète » et le climat dans dix ou vingt ans, comme nous l’enjoignent les jeunes militants éco-anxieux contemporains. Peut-être nous faut-il alors faire le deuil du monde pré-industriel, tant certains des ravages dont nous sommes collectivement coupables sont irréversibles, du moins à l’échelle de quelques vies humaines. Néanmoins, on peut parier que la mégamachine planétaire butera à terme sur certaines limites physiques et biologiques infranchissables. Alors, les pannes et les pénuries ainsi provoquées offriront des opportunités à saisir pour les écologistes, afin de proposer d’autres manières de vivre, de travailler et de faire cité. Nul automatisme historique ici, mais une fenêtre de possibilités par laquelle s’engouffrer, au moment opportun.

Comme je l’ai dit, ce sera une voie âpre, socialement risqué et personnellement difficile – il faudra déjà être capable de subir, au moins, les railleries et le venin des productivistes et des technophiles de tous les bords politiques. Surtout, rien ne garantit qu’une telle ambition aboutisse, et la poursuivre n’interdit pas bien sûr de mener des luttes défensives pour sauver ce qui peut encore l’être – mais sans se faire d’illusions, tant sont grandes pour le moment les forces du statu quo. Quoiqu’il en soit, s’engager sur un tel sentier me semble être la seule façon de préserver sa dignité en tant que sujet humain.

Notes[+]

polémos à cibl101.5 FM – les aurores montréal – Suffisance énergétique

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Émission du lundi 6 novembre 2023. Au micro de Charline Caro, Josée Provençal nous introduit au concept de suffisance énergétique sous l’angle de la décroissance.

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polémos à cibl101.5 FM – les aurores montréal – monnaies alternatives et décroissance

Émission du lundi 24 avril 2023. Jérémy Bouchez introduit David Fillion aux monnaies alternatives sous l’angle de la décroissance.

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Quand la fusion fait fondre l’esprit critique

Billet paru dans la section « Lettre d’opinion » du journal Pivot le 21 mars 2023

Auteur principal : Bastien Boucherat. Co-auteures : Noémi Bureau-Civil et Sophie Turri.

Travailleur à l’intérieur de la target chamber de la National Ignition Facility. Crédit photo : Lawrence Livermore National Security sous licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia commons.

La couverture médiatique autour de la récente expérience de fusion nucléaire a été quasi unanime : il s’agirait d’une avancée cruciale vers une solution miracle au problème énergétique et à la crise environnementale (la technologie de la fusion nucléaire promettant une énergie à bas prix, abondante et sans déchets radioactifs).

À notre connaissance, à part quelques réserves sur la portée technique de l’expérience et certains bémols sur le plan écologique, aucune critique n’a été faite pour questionner non seulement l’espoir d’une source d’énergie infinie, mais les répercussions qu’une telle abondance aurait sur le monde.

Nous demeurons pourtant prudent·es face au rôle salvateur trop prestement attribué à la technologie – à toute technologie.

Le miracle serait pour demain, mais le problème est aujourd’hui

Présenter chaque avancée, aussi indéniable soit-elle, comme l’avènement du prochain miracle énergétique procède d’un emballement médiatique évident. Le développement de toute technologie de pointe est en effet un processus industriel lent et laborieux aux innombrables étapes. L’expérience de fusion nucléaire réalisée l’an dernier devra être répliquée et validée par la communauté scientifique avant qu’on puisse affirmer qu’elle apporte quelque chose de substantiel.

Dans le contexte de la crise environnementale, les technologies nucléaires sont présentées comme des sources d’énergie peu émettrices de gaz à effet de serre (GES) comparées aux énergies fossiles comme le charbon, le pétrole ou le gaz.

Mais comme le dernier rapport du GIEC nous le rappelle, la réduction des GES doit être drastique et immédiate si nous voulons limiter les dégâts associés à la déstabilisation du climat et éviter l’atteinte de seuils dont le dépassement implique des conséquences dramatiques et irréversibles pour les écosystèmes dont nous dépendons de manière vitale. Or, l’horizon de disponibilité de la fusion nucléaire comme source de production d’électricité reste lointain – on parle de plusieurs dizaines d’années –, en plus d’être incertain.

Une transition depuis les énergies fossiles vers la fusion est donc techniquement hors de propos, alors qu’il s’agit de diminuer le recours aux énergies fossiles dès aujourd’hui. Cela implique de procéder avec les moyens déjà à notre disposition.

Dans ce contexte, répéter que le miracle arrive peut s’avérer contre-productif alors que nous avons besoin d’une mobilisation large et rapide.

La fusion avance grâce au complexe militaro-industriel
L’expérience novatrice de l’an dernier a été conduite sous l’égide de la National Ignition Facility (NIF) pour le compte de la National Nuclear Security Administration (NNSA), qui est l’organisme chargé de la gestion du stock d’armes nucléaires des États-Unis.
Cette avancée n’est donc aucunement le fait de recherches en rapport avec la problématique énergétique, et encore moins écologique. C’est un intérêt avant tout militaire qui est à l’œuvre ici. Sa reformulation systématique dans les termes d’un débat énergétique ayant une acceptabilité sociale plus grande procède d’un positionnement avant tout politique plus que technique et nous impose par conséquent la plus grande prudence.

Une énergie infinie dans le meilleur des mondes, vraiment?

Imaginons quand même un monde plein de promesses disposant d’une énergie décarbonée et abondante, tel que plusieurs médias et journalistes le font miroiter. Est-ce vraiment ce que nous souhaitons?

La protection de l’environnement au-delà du climat : les neuf limites planétaires

Des études scientifiques identifient neuf limites planétaires dont le dépassement mettrait en péril les conditions de vie sur Terre : le dérèglement climatique, la destruction de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’artificialisation des sols, l’acidification des océans, la non-potabilité de l’eau, l’appauvrissement de la couche d’ozone, la pollution et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.

Rappelons que six de ces limites sont déjà franchies, et qu’au mieux, l’énergie nucléaire ne peut agir que sur deux d’entre elles, soit les changements climatiques et la pollution.

Crédit : Azote for Stockholm Resilience Centre, sous licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia commons.

Le dépassement de ces limites est causé par les activités humaines en quête de croissance perpétuelle du PIB. Ces activités sont elles-mêmes rendues possibles par une disponibilité croissante en énergie. Il va donc sans dire qu’une énergie quasi infinie serait dévastatrice.

Cela impliquerait l’expansion du parc de machines occupées à artificialiser le monde, ainsi qu’une extraction minière accrue, avec leur lot inévitable de dommages.

Tout cela nous rapprocherait plus sûrement d’un dépassement généralisé des limites planétaires, potentiellement fatal.

En ce sens, le principal obstacle à une utilisation soutenable de l’énergie, c’est avant tout une énergie abondante.

L’abondance sans conscience

La quête de croissance perpétuelle des biens et services, nourrie par les espoirs d’une source d’énergie infinie, ne pose pas uniquement un problème écologique. Cette quête est aussi fondamentalement injuste et aliénante, comme le rappelle l’approche de la décroissance.

Qu’est-ce que la décroissance?
La décroissance est un mouvement politique né au début des années 2000 en réponse à l’idéologie du développement durable, dont les propositions sont jugées insuffisantes sur le plan environnemental et problématiques sur les plans des inégalités sociales, de la démocratie et de l’aliénation par l’économie et la technique.
La décroissance vise à faire émerger une société plus soutenable, plus juste et plus émancipatrice, un projet démocratique pouvant se résumer par « produire moins, partager plus et décider ensemble » (Abraham, 2019).

Nous vivons déjà dans une période historique d’abondance d’un point de vue énergétique, sans empêcher que des conditions de vie indignes pour un très grand nombre côtoient un train de vie écocidaire pour d’autres. Les jeux de domination multiples (capitalisme, sexisme, racisme, spécisme, etc.) organisent la répartition inégale de ce qui est produit.

Plus d’énergie ne sera donc pas une réponse efficace à la précarité énergétique, tout comme plus de croissance n’est pas la solution à la pauvreté économique – c’est plutôt son fondement.

Or, tout combat pour l’équité ne peut passer que par une forme de démocratie, ce qui implique de pouvoir comprendre les outils et technologies qui nous entourent et dont nous dépendons pour satisfaire nos besoins fondamentaux. L’expertocratie que suppose le nucléaire est incompatible avec une maîtrise citoyenne des enjeux.

L’exclusion systématique des communautés locales et de la société civile des cercles de décisions concernant les questions énergétiques et économiques n’est pas anecdotique. Elle est une des conséquences de la complexification de nos vies, notamment par la division du travail, organisée dans l’objectif de croissance.

Dépossédé·es de notre pouvoir de décision et donc de notre autonomie, nous nous transformons en rouage d’une mégamachine qui détruit et opprime à cause de nous, mais malgré nous.

Ainsi, nous nous trouvons embarqué·es dans une fuite en avant technologique, où la technologie de demain devient la solution au problème généré par la technologie d’aujourd’hui. Les technologies, dont l’intelligence artificielle est l’un des derniers avatars, sont ainsi de plus en plus interdépendantes et omniprésentes, elles érodent notre autonomie et nous déresponsabilisent en mettant à distance les effets de leur utilisation (sur les autres, sur d’autres pays, sur les générations futures, etc.).

Que retenir?

Bien que la perspective d’une solution technologique miraculeuse puisse être séduisante, il est important de prendre du recul et d’en considérer les limites avec honnêteté et rigueur.

La qualité des informations disponibles dans les médias est cruciale pour un débat public éclairé et que nos bonnes intentions ne servent pas malgré nous à paver cet enfer que personne ne dit pourtant souhaiter.

Si nous prenons au sérieux les idées de liberté, d’égalité et de soutenabilité de notre société, comme le fait le mouvement pour la décroissance, alors nous devons dès à présent sortir de la course en avant technologique pour aspirer enfin à un monde vivable et enviable.